Aux champignons – Les couteaux de Pierre
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Aux champignons – Les couteaux de Pierre

L’automne approchant, Marilou part avec Pierre et ses couteaux à la recherche de quelques champignons. Les couteaux amenant, comme toujours, aux grandes et aux petites histoires humaines, c’est un peu de sa vie qu’il nous raconte à travers les couteaux, ainsi que ses rencontres avec quelques couteliers(ères) du coin, dont notre regretté Éric Plazen.

« Ici, il y a 45 ans, tous les gamins du village avaient un Opinel, le même que tout le monde, et on était contents. Les vieux nous apprenaient à faire des bâtons, des petits sifflets avec du frêne ou du noisetier. Des trucs d’un monde qui n’existe plus. Je suis né là, plus haut, il n’y avait pas la route, que des prés. Maintenant, il doit y avoir 30 maisons. »

Quelques jours avant de nous rencontrer, Pierre me dit : « j’aime les couteaux, j’aime les champignons, mais je ne suis spécialiste ni de l’un ni de l’autre ». Certes, mais les coins, il les connaît bien et des couteaux, il en a plein. Des jolis noms, des pièces sur lesquelles il a flashé et qu’il aime utiliser.

Avant d’aller nous balader en forêt, il m’invite à prendre un café et échanger quelques anecdotes sur les champignons et sur ses rencontres avec les couteliers(ères) du coin : « Éric Plazen a vécu plusieurs années dans mon village en Ariège et au départ il ne vendait ses couteaux que sur le marché de Saint-Girons le samedi matin. C’est là que je lui ai acheté ce « modèle atypique » il y a une vingtaine d’années. Je m’arrêtais parfois pour lui poser quelques questions et ce jour-là, il vendait ce couteau pour environ le tiers du prix. Il n’arrivait pas à le vendre à cause d’un « déséquilibre » esthétique entre le manche en noyer (trop massif) et la lame forgée par ses soins en acier sandwich dont j’ai oublié la composition (trop courte). Je lui ai dit : »moi pour la chasse il me va très bien un manche que l’on tient bien et une lame courte et tranchante, je te le prends » Je l’ai toujours, il est facile à affuter, robuste et je trouve qu’il a un certain charme… Il se trouve que, maintenant, Didier Marcel vient proposer ses couteaux sur le même marché et que je travaille avec Stéphanie Mottais. En Ariège vit aussi JP Tisseyre (MOF) chez qui j’ai effectué un stage d’affutage. » 

Le bâton est dans le coffre, l’Opinel n° 6 dans la poche. « Pendant longtemps, on n’a connu que ça. La lame peut rouiller, mais d’un coup de pierre ça repart. Avant, il n’y avait pas de tracteurs et tous les outils, les haches, les coutelas, il fallait les aiguiser à la main. Tout le monde avait chez soi une meule à eau ronde avec une manivelle, un système à engrenage. Tu ne pouvais pas tourner et tenir la lame, il fallait être deux alors nous, à 7 ou 8 ans, on tournait la manivelle. On apprenait à affûter comme ça, par imitation. »

Notre périple commence là où le moteur s’arrête. Il faut longer les prés, dire bonjour aux vaches, et traverser un chemin boueux. Pierre est du genre aventurier des forêts, de ceux qui aiment chasser, récolter et cuisiner. Les champignons, il les aime séchés ou en pâtés, en carpaccios ou en bocaux. En cuisine et ailleurs, des couteaux, il en a : des droits, des pliants, des dagues. Ce n’est pas une « vraie collection » dit-il, certains sont encore un peu terreux et d’autres ont la lame usée. « J’achète des couteaux depuis une vingtaine d’années, je n’en ai pas énormément, une trentaine. Un couteau qui vit ne se revend pas. D’ailleurs, je n’en ai revendu aucun. C’est vrai que certains, on a juste envie de les regarder, je comprends les collectionneurs. »

Durant deux heures, nous arpentons la forêt, écartons les ronces et fixons les sols avec détermination. Des tapis entiers de trompettes de la mort que je ferai sécher en collier près du feu ou que j’offrirai à ma voisine coutelière, Stéphanie Mottais, dont Pierre possède l’un des magnifiques pliants damassés. De la région, on trouve aussi un Didier Marcel et un Jean-Paul Tisseyre. Éric Plazen, c’est une rencontre un peu dingue, un hasard de la vie : « on discutait devant l’école quand j’allais chercher mes gosses. Il aimait ramasser les essences locales de bois, comme le noyer, et faisait lui-même ses étuis. Il forgeait ses lames, il était bon à la forge ! Ce couteau est déséquilibré, le manche est trop grand par rapport à la lame. Personne n’en voulait, moi je l’ai pris. »

Plus loin, nous tombons, un peu par hasard, sur de belles oronges aux lamelles jaune doré. Cette amanite des Césars est rare et a, selon mon cueilleur, un délicieux goût de noisette. Sans voyager, et en voyageant parfois, Pierre aime chiner : Atelier Perceval, Julien Maria, Mickael Moing, Douk-Douk, canif Navette, Citadel du Cambodge, Laurent Bellini en Corse, un Marttiini de Finlande fabriqué en atelier par des femmes et même un Bastinelli que Pierre aime prendre pour aller aux champignons. Ce dernier est bien pratique, mais reste un couteau dit tactique, qui a son public, « des guerriers mini-Rambo », selon ses mots.

Le temps file et il est déjà midi lorsqu’il nous faut saluer nos vaches et repasser les clôtures. Les cèpes, me dit Pierre, c’est sûrement fini. Nous ne croisons que de gros Messieurs délaissés, ne séduisant plus que les dames limaces qui en ont fait leur demeure principale. La récolte ne pèse pas moins de trois kilos au total et Pierre me l’a dit, il reviendra samedi.

Par Marilou Martinez-Soum